Situées à l’ouest des Terres d’Arran, les Cités-États de Tarascon sont un patchwork de royaumes. Elles s’étendent sur tout un continent, à l’exception de la partie des terres situées à l’ouest qui appartient au royaume du Léhon. Au sein de ce territoire se trouvent deux immenses forêts anciennes et mystérieuses qui abritent des royaumes elfiques interdits aux hommes. Elles comprennent aussi plusieurs îles de différentes superficies qui gravitent autour du continent. Chaque Cité-État est en fait un royaume humain indépendant, un peu à l’image des Forteresses-États naines. Certaines sont petites et morcelées, comme si elles étaient passées sous le marteau des conflits et des héritages, à peine de la taille d’un grand domaine. D’autres, grâce à leur ruse et à leurs alliances bien senties, s’étendent sur des distances vertigineuses, se jouant des lieues comme un dragon se joue des cieux.
Au cœur de chaque Cité-État se dresse une cité principale fortifiée, c’est là que tout se passe : l’administration fait ses affaires, le pouvoir royal trône, les commerces prospèrent et les guerriers s’affûtent… Autour de ces capitales se déploient des paysages variés : fermes, villages, forêts et parfois quelques ports qui tentent de se faire une place dans le grand théâtre politique. Un peu à l’écart, dans des zones non revendiquées, ou isolées et difficiles d’accès, on trouve également des villages d’Orcs ou de Gobelins. Ils ont très peu d’interactions avec les Humains, tant que ces derniers ne viennent pas leur chercher des noises. Même si parfois la faim ou la gloriole les poussent à des escarmouches ou des actes belliqueux.
Bien qu’aujourd’hui, des conflits persistent, alimentés par des enjeux de richesse, de territoires contestés ou de généalogies tordues, comme récemment entre les Cités-États de Lennar et d’Oenos (voir Mages Tome 8), il est à noter que depuis quelques décennies, une brise de paix souffle sur la région grâce aux accords d’entraide commerciale et militaire que toutes les Cités-États de Tarascon ont signés entre elles. De nombreux traités les lient, parmi lesquels les célèbres accords de Fensi établissant des accords généraux entre les cités. Parmi les Cités-États les plus puissantes de cette alliance, ou “ligue” comme elles la nomment, figurent Svienn, Tudgi, Eysine au destin tragique (voir Elfes Tome 2 et Tome 7), l’imprenable Adelessen (voir Elfes Tome 13), ainsi que la riche et immense Cambrionne (voir Nains Tome 7 ou Orcs & Gobelins Tome 22)…
Il y a quelques années de cela, la guerre des Goules ouvrit une parenthèse macabre dans la vie quotidienne des Cités-États, qui payèrent un lourd tribut au chaos provoqué par la Nécromancienne Lah’saa. Il est difficile d’établir un recensement précis, mais il est probable que la moitié de la population du continent ait été décimée. Suite à cet événement, la dynamique ainsi que la géopolitique de toute la région ont été grandement modifiées, entraînant d’importants changements. Pendant cette sombre époque, les différentes races qui s’étaient jusqu’alors affrontées ou simplement ignorées se sont unies en différents lieux pour résister aux ravages de la Nécromancie, notamment au cœur de la forêt de Duhann, dans la forteresse de Lierre, où des survivants issus de toutes les races – Elfes, Hommes, Orcs, Nains, Gobelins… – se sont rassemblés autour de la reine elfique Ora. Cette concorde a marqué l’histoire du pays, mais une fois la guerre terminée, elle s’est estompée aussi rapidement qu’elle s’était formée.
À la suite de cela, les Hommes ont fait preuve de résilience et ont travaillé dur pour reconstruire leurs communautés. Malgré les cicatrices laissées par les massacres, l’espoir et la volonté de rebâtir ont prévalu, permettant à la population de retrouver un nouvel élan.
Il est bon aussi de préciser que les Cités-États de Tarascon ont la particularité d’élire collectivement un souverain pour les représenter. Cependant, le titre de roi ou de reine des Cités-États de Tarascon est davantage honorifique que concret, car le dirigeant de cette alliance humaine ne détient pas de réel pouvoir, à l’exception de la présidence des débats et de l’arbitrage des querelles entre les différents monarques de Tarascon. Néanmoins, récemment, des changements semblent être en cours. Des récits font état d’une certaine reine Camilla, soutenue par le puissant roi du Léhon, Silurce le Gros. Elle serait désormais la nouvelle reine élue des Cités-États de Tarascon. Il semblerait qu’elle ne se contente pas uniquement de présider les débats. Des rumeurs circulent à son sujet, alléguant qu’elle posséderait des pouvoirs obscurs. On prétend également que Camilla aurait participé à l’anéantissement des Elfes Blancs, un génocide qui ne peut être qu’une fausse rumeur, propagée dans le but de semer la peur, tant cela semble irréaliste. (voir Elfes Tome 33)
De plus, on avance qu’elle détiendrait des otages issus des grandes familles de Tarascon pour consolider son autorité, et qu’elle n’aurait pas hésité à mutiler certains d’entre eux lorsque les parents de ces derniers auraient refusé de se soumettre à ses demandes. Pour ceux pour qui l’envoi d’un des membres de leur famille en petits morceaux n’aurait pas suffi, elle aurait anéanti leur cité avec l’aide de son allié Silurce. On dit même qu’elle aspire à transformer Tarascon en un nouvel empire humain, unifié sous sa main de fer. Cependant, il est également possible que Camilla ne soit qu’un pion manipulé par Silurce le Gros, qui lui-même ambitionnerait d’annexer les Cités-États… Peut-être en contractant un mariage avec elle ? Des questions qui trouvent réponses dans Elfes Tome 33, ainsi que dans le crossover Guerres d’Arran.
Quoi qu’il en soit, aucune région des Terres d’Arran n’a connu une telle tension politique. Depuis longtemps, cet ensemble de royaumes humains est le principal théâtre de la guerre d’influence opposant les deux plus grandes puissances financières d’Arran : les Nains de la Banque de Pierre et les rois des Archipels. Dans l’ombre, ces derniers écrivent la politique de Tarascon et usent de tous les moyens pour imposer leur hégémonie sur ce continent.
Cité-État la plus septentrionale de Tarascon, située sur la même île que Svienn, elle partage avec elle une histoire complexe ponctuée de pactes, de conflits et de querelles retorses. Il semble que cette cité soit engagée dans une alliance avec les rois des Archipels, renforçant ainsi ses liens politiques.
Notons également que l’Orc Gri’im a été retenu prisonnier pendant une période de trente ans dans les sombres profondeurs des oubliettes de cette ville, un événement qui a marqué son histoire de manière indélébile.
Membre éminent des Cités-États de Tarascon, Tudgi a toujours été une puissance politique stable, cultivant des relations amicales avec ses homologues, transcendant les clivages et renforçant ses liens à travers les époques. Un roc au milieu des orages traversés par ses voisins, elle a su nouer de fortes et solides alliances, basées sur l’entraide et l’amitié. Elle est même l’un des principaux instigateurs et signataires des célèbres accords de Fensi, établissant des accords généraux entre les cités.
Il y a environ une cinquantaine d’années, avant la guerre des Goules, la Cité-État de Tudgi était dirigée par le jeune roi Aarnal, tenu par les dettes héritées de son père, qui était un homme de cœur mais aussi un piètre gestionnaire : il avait emprunté aux rois des Archipels plus qu’il ne pouvait rembourser. Il est aussi bon de noter qu’enfants, Aarnal et la princesse Llali de la Cité-État d’Eysine étaient très proches, on évoquait même un mariage entre eux qui aurait scellé les liens entre ces deux puissantes Cités-États. Malheureusement, il n’en fut rien, et lorsque les rois des Archipels cherchèrent à anéantir Eysine, Aarnal n’apporta aucun soutien à Llali ni au royaume d’Eysine, entachant la réputation d’assistance et de parole donnée qui avait été chérie par des générations de monarques de Tudgi.
Il ne faut pas se méprendre, Aarnal n’était pas un mauvais bougre, mais il était influençable et n’avait pas les épaules pour s’opposer à ses puissants débiteurs. Chérissant son peuple, il était prêt à tous les sacrifices, quitte à passer pour un pleutre ou un menteur, dans le seul but de préserver ses sujets et l’héritage de ses ancêtres. Ce malheureux Aarnal ne pouvait pas grand-chose face à l’avidité et à la corruption des rois des Archipels, passés maîtres dans la discipline, ces derniers ayant travaillé avec patience et générosité deux générations de monarques de Tudgi pour rendre le pays totalement dépendant de son or et de ses accords marchands.
Véritable joyau stratégique du fait de sa situation géographique et de son héritage, Tudgi attire l’attention des ambitieux qui aspirent à maîtriser les Cités-États de Tarascon. Au même titre qu’Eysine, elle était autrefois une des pierres angulaires du plan fou des rois marchands, celui de creuser un canal de Brême à Madrig, qu’ils comptaient prolonger jusqu’à Tudgi. Les rois des Archipels devenaient ainsi les promoteurs d’une route maritime reliant le détroit du Croc à la mer du Ponant, évitaient les pirates des Brumes et les tempêtes du cap Rouge, et s’assuraient ainsi un revenu régulier et indécent. Les rois marchands réussirent leur projet en quelques décennies, mais l’immense canal finit par devenir partiellement impraticable lors de la guerre des Goules, en raison du manque d’entretien et des sabotages. On dit même qu’en secret, les Nains de la Banque de Pierre auraient mandaté un maître des alignements corrompu pour détruire une immense portion du canal, faisant passer cet événement pour un malheureux accident naturel.
Tudgi incarne une synthèse harmonieuse entre l’histoire et le présent, un lieu où l’activité économique prospère, où la culture s’épanouit et où la diplomatie favorise des relations pacifiques et mutuellement bénéfiques avec les régions avoisinantes. Positionnée au cœur du continent, elle est desservie par des rivières et des canaux navigables ainsi que par des voies terrestres anciennes et incontournables pour quiconque traverse le pays. Elle se dresse comme un lieu de rassemblement pour les échanges commerciaux et culturels, où les peuples se rejoignent pour partager biens et savoirs.
Le château du monarque, dressé avec fierté sur un imposant roc, domine le cours de la rivière, symbolisant la puissance et la protection de la cité. Cette position élevée lui confère un avantage tactique en offrant une vue imprenable sur les mouvements adverses et en facilitant la coordination de la défense régionale.
La cité fortifiée s’étend en contrebas du château, déployant ses quartiers sur plusieurs niveaux. Les ruelles pavées serpentent entre les bâtiments, fusionnant une architecture robuste ornementée de fenêtres gothiques et de détails minutieusement élaborés. Les habitations en pierre épaisse, coiffées de toits d’argile ou d’ardoise, ajoutent une note solide et authentique à l’ensemble.
Au pied des remparts intérieurs, une place animée abrite un marché vibrant d’activité. En son centre se dresse un mausolée royal, une structure en pierre finement ornée d’une statue équestre du fondateur de la cité qui rappelle les origines et l’histoire de ce lieu, témoignant du respect envers la lignée royale qui a gouverné la cité.
Lembra, la Cité aux Mille Terrasses, un surnom mélodieux évoquant le Sud et les resplendissants palais assanides. Cependant, il en est tout autrement. En effet, la Cité-État de Lembra peut certes s’enorgueillir de posséder des centaines de terrasses, mais nous sommes bien loin, même à des milliers de lieues, de la splendeur architecturale des contrées méridionales. Ces terrasses, au caractère austère, sont constituées de pierres épaisses et revêtent un rôle purement fonctionnel, n’ayant jamais été conçues pour des considérations esthétiques. Cela est en grande partie dû aux carrières de gneiss abondantes dans la région, ainsi qu’aux goûts esthétiques peu inspirés des architectes locaux. Il faut dire que les bâtisseurs du coin n’ont qu’une obsession : créer des structures solides, l’esthétique et les ornements étant considérés comme secondaires.
Une partie de la ville a même été construite au-dessus de l’une de ces carrières. Son ossature carrée et anguleuse s’élève en différentes plateformes imposantes, donnant à la cité l’apparence d’une forteresse imprenable. Les toits plats, constitués de pierres massives, s’harmonisent avec la teinte grise et robuste de la cité. Des ouvertures austères, rappelant des meurtrières, parsèment les bâtiments, et des arches en pierre sont agrémentées par d’épaisses grilles de fer, érodées par l’air salin, pour permettre de réguler l’accès à certains quartiers. Cette vision dépouillée de la capitale portuaire, dressée sur plusieurs niveaux face à la mer, est adoucie par la présence réconfortante d’arbres ornant les pavés des rues. La ville semble parée pour résister à tous les caprices que les dieux d’Aquilon pourraient lui infliger, qu’il s’agisse d’engins de siège, de monstres titanesques, de tempêtes ou de tsunamis… Cependant, cela n’empêchera pas un fléau d’un autre genre de s’abattre sur la population de la cité.
Nichée sur la côte sud du continent, Lembra prospère en tant que membre des Cités-États de Tarascon, signataire des accords de Fensi, ayant tissé des liens privilégiés avec le royaume de Lombardie. Son port constitue sa principale source de richesse, formant un modèle de protection renforcé par plusieurs enceintes de remparts. Lembra est également reconnue pour ses chantiers navals, d’où ont émergé des navires reflétant l’âme même de la cité et de ses habitants : modestes, dénués de fioritures et arborant une esthétique ancienne, voire même parfois ingrate, mais toujours robuste.
Le destin de cette cité, dirigée autrefois par le regretté seigneur Lancas, prend une tournure tragique durant la guerre des Goules. Les habitants de Lembra sont pris en étau entre les redoutables Goules de Lah’saa et l’implacable assaut de l’armada des rois des Archipels. Les rares rescapés tentent de fuir par la mer, mais les souverains des Archipels, préoccupés par la menace de la contamination de leurs îles, imposent une sombre sentence aux survivants en instaurant un blocus impitoyable, scellant ainsi le destin funeste des gens de Lembra.
Quelques habitants survivront dans les caves et les souterrains de la ville, et une fois la menace passée, ils contribueront à faire de nouveau de Lembra une Cité-État de premier rang.
Dans le passé, la péninsule à l’est de ce qui allait devenir les futures Cités-États de Tarascon était le théâtre de guerres sanglantes. Les Cambres, chasseurs montagnards, vivaient depuis toujours dans les hauteurs du nord du territoire. Leur existence était simple et rude, rythmée par la chasse, la cueillette et la lutte pour les grottes qu’ils disputaient aux ours et aux trolls. Leur mode de vie fut bouleversé lorsque la montée en puissance des clans orcs les poussa à se fédérer sous les bannières de chefs de guerre. Ces Orcs venaient des forêts de l’Ouest, chassés des bois par les Elfes Sylvains. Face à cette menace constante, les Cambres, qui étaient déjà des hommes robustes, se renforcèrent encore, devenant belliqueux comme les ennemis qu’ils affrontaient quotidiennement.
Malgré leur bravoure, ils furent contraints de quitter leurs montagnes natales pour échapper à l’anéantissement face à la montée en nombre des hordes de culs-verts. Ils migrèrent vers le sud, en particulier vers l’est de la péninsule, alors colonisé par une autre ethnie. Ayant tout perdu et ne possédant plus que leur force et leur expertise guerrière, c’est naturellement qu’ils se heurtèrent aux Rionnes, un peuple pacifique de pêcheurs ayant prospéré grâce à leurs relations amicales avec les Nains. Une collaboration qui leur avait permis de développer leur savoir-faire, notamment en termes de construction, de culture et de commerce : leurs villages poussaient comme des champignons le long du littoral et ne cessaient de prendre de l’importance.
Les Rionnes devinrent la cible privilégiée des anciens montagnards, qui lançaient leurs razzias sur les hameaux, s’emparant de tout ce qu’ils pouvaient. Cependant, ils avaient une certaine éthique (si si, même les barbares ont une éthique), car ils savaient pertinemment que s’ils décimaient ou amochaient un nombre excessif de pêcheurs, ils se tireraient une flèche dans le pied, en risquant de tarir leur première source d’approvisionnement. Alors plutôt que d’opter pour des massacres de masse, ils préféraient semer la terreur, incitant les pauvres âmes à prendre temporairement le large lors de la curée, puis ils se retiraient, attendant une nouvelle saison pour reprendre leur cycle de pillages. Cela permettait à leurs victimes de reconstituer leurs ressources avant le prochain raid, un peu à l’image du fermier qui laisse reposer la terre une saison pour ne pas la rendre stérile en la surexploitant.
L’inimitié entre ces deux peuples était évidente, c’était une haine profonde, faisant de l’autre l’ennemi juré, responsable de tous leurs maux. Les Cambres voyaient les Rionnes comme des couards, enclins à prendre la mer dès que le moindre danger se profilait à l’horizon. De leur côté, les Rionnes considéraient les Cambres comme des rustres, des pillards consanguins uniquement intéressés par l’appropriation du labeur des autres.
Sur plusieurs générations, ces deux peuples connurent une croissance rapide, dans une sorte de coexistence toxique. Les barbares prospéraient grâce aux raids menées sur les villages, tandis que les pêcheurs renforçaient leurs défenses, augmentaient leur production pour pallier les pertes et formaient des milices.
À cette époque, les Nains tiraient déjà les ficelles dans la région, avec moins de subtilité qu’ils n’en ont besoin de nos jours. Leur influence sur ces deux peuples était indéniable, on pourrait même dire qu’ils les sculptaient en vue de les exploiter ultérieurement. Les éminences grises du Talion n’étaient pas encore en compétition avec les puissances financières humaines. Elles se contentaient de mandater les membres zélés de l’Ordre du Temple pour partager quelque savoir avec les Humains, afin de créer des alliés redevables, dociles et faciles à exploiter. Lorsqu’un nouveau leader humain émergeait et tentait de prendre ses distances avec les bienfaiteurs nains, les poilus n’hésitaient pas à envoyer une ou deux légions du Bouclier pour étouffer la menace dans l’œuf, rappelant ainsi aux Hommes qu’il était peu judicieux de se détourner de la bienveillance des fils d’Yjdad.
Avec l’aide des Nains, les Rionnes poursuivirent leur expansion, et les premières Cités-États de la péninsule furent érigées. Les Nains, qui quittaient peu à peu le continent pour se rendre principalement en Ourann et en Orient où la guerre faisait rage, avaient besoin de main-d’œuvre pour poursuivre l’exploitation des milliers de mines qu’ils devaient laisser derrière eux. Les robustes Cambres étaient tout désignés pour les remplacer. Ainsi, ils apportèrent leur aide aux nouveaux rois humains issus des grandes familles rionnes pour engager des pourparlers avec les chefs de clans cambres, usant de persuasion pour favoriser cette collaboration. Cette transition s’effectua progressivement sur près d’un demi-siècle. On initia le dialogue en établissant des zones neutres, sous la protection de l’Ordre du Bouclier, où les deux ethnies pouvaient pratiquer le troc et entamer des négociations. Une fois les premiers échanges amorcés, les riches cités proposèrent de verser un tribut pour éviter les pillages. Les barbares commencèrent à apprécier les offrandes faites par les jeunes monarques et se ramollirent. Ils devinrent vite dépendants de l’alcool, des potions, des étoffes de qualité et de l’acier offert par leurs anciens ennemis sans avoir à effectuer le moindre effort, au point qu’ils commencèrent à vouloir adopter leur mode de vie. Ils proposèrent alors leurs services sous forme de mercenariat pour obtenir toujours plus de richesses.
Ainsi, la fusion entre les deux ethnies s’opéra avec le temps. Pour les barbares réfractaires qui s’opposaient à ce mode de vie en continuant les pillages, leur nombre déclina peu à peu, ils étaient vaincus par leurs anciens frères devenus le ciment des armées des jeunes Cités-États de la péninsule. Progressivement, les Cambres s’intégrèrent aux armées et aux milices, et surtout devinrent la principale main-d’œuvre pour les travaux pénibles, notamment dans les champs, sur les quais et les mines.
Tout n’était pas rose, la haine ancestrale entre montagnards et pêcheurs s’était transformée en un racisme systémique. Un mépris quotidien, souligné par une sorte d’argot qui reposait sur l’invention d’insultes à peine déguisées envers leurs anciens adversaires. D’une certaine manière, les Cambres étaient régulièrement mis au ban de la société. Ils payèrent à leur tour un tribut pour les exactions de leurs pères. La nature n’aimant pas le vide, les jeunes Cités-États, n’ayant plus d’ennemis désignés, commencèrent à se chercher des querelles entre elles. La première source de discorde concernait les tracés des nouvelles frontières et le droit d’exploitation des mines du Talion. Ainsi se déroula la vie dans la région, entre coups bas, alliances et batailles, le tout saupoudré d’une course au prestige entre les différents dirigeants.
Les fils d’Yjdad, ayant acquis la grande majorité des secteurs miniers de la péninsule, louaient l’exploitation de leurs terres aux seigneurs des Cités-États en échange des deux tiers de la production. Malgré ce coût prohibitif, l’opération restait rentable pour les hommes, et surtout, elle leur apportait des relations privilégiées avec les riches Nains du Talion. Ceux-là mêmes qui finançaient l’accroissement de leurs cités, ainsi que la gloire qui en découlait.
Une famille, plus que toute autre, laissa son empreinte dans l’histoire de la péninsule et joua un rôle crucial dans l’assimilation des Cambres dans les sociétés rionnes. À une époque où les montagnards et les pêcheurs étaient encore en guerre, un courageux marin osa défier une violente tempête pour secourir une barge naine échouée sur les bas-fonds. Accompagné de son fils, il risqua sa vie pour sauver les passagers, parmi lesquelles une très jeune Naine du Temple qui se prit d’affection pour le rejeton de son sauveur. L’homme n’était pas seulement le chef de son village, mais aussi un héros dont les exploits étaient narrés le long de toute la côte, et qui était connu pour avoir vaillamment tenu tête à un chef cambre venu piller son village, ainsi que pour sa pêche miraculeuse lors de la grande famine. Cette pêche avait nourri non seulement les siens, mais aussi plusieurs villages voisins.
Contre l’avis de tous, en particulier des fils d’Yjdad qui proscrivaient les unions interraciales, le père consentit à bénir les deux amoureux. Lorsqu’il fut trop âgé pour diriger le village, il passa le flambeau au couple. Grâce à la sagesse et aux connaissances de son épouse issue d’une prestigieuse famille d’ingénieurs du Temple, l’héritier transforma en quelques décennies leur village en l’une des premières cités humaines fortifiées de la péninsule. Leurs enfants, éduqués dans le mélange des deux races, devinrent des individus nobles et avisés, aptes à diriger leur peuple.
Devant la croissance rapide de la ville, la main-d’œuvre vint à manquer, mais plus que tout, la milice chargée de les défendre contre les hordes de pillards manquait cruellement d’effectifs. Cette année-là, les Cambres s’étaient regroupés autour d’un chef charismatique, mettant en danger tout ce qu’ils avaient construit. Par chance, les remparts, couplés à un hiver particulièrement rigoureux, comme on en voit un par siècle, permirent à la cité d’obtenir un sursis. Les barbares se retrouvèrent à lutter contre la famine et des conditions météorologiques désastreuses ; l’épaisse couche de neige rendait la chasse et les déplacements difficiles.
Le roi de la jeune cité, sur les conseils avisés de son épouse, prit une décision déconcertante. Sachant que ses pires ennemis risquaient de succomber par centaines à la famine et au froid, il organisa une expédition avec quelques-uns de ses compagnons les plus fidèles. Si la famille royale n’avait pas été aussi respectée, le peuple l’aurait cloué au pilori pour avoir seulement pu suggérer une idée aussi folle. Avec des barques transformées en traîneaux et chargées de provisions, il brava la neige aux côtés de ses compagnons, vers les abris de fortune où se terraient les anciens montagnards. Ce pari risqué aurait pu lui coûter la vie, mais le puissant chef de clan, ayant fédéré ses semblables, dissuada ses guerriers de massacrer celui qui venait les aider. Le chef cambre convia le roi rionne à sa table, et après qu’ils eurent partagé des quantités d’excellent alcool apporté par les anciens pêcheurs, une amitié éthylique naquit de cet instant. Par la suite, le roi convia le chef cambre à se rendre aux portes de la cité où il recevrait suffisamment de provisions pour tenir les prochaines semaines, consolidant ainsi cette amitié précaire née d’un risque audacieux.
Bien entendu, le chef cambre n’était pas vraiment en position de refuser la main tendue par le roi rionne. Un refus par orgueil aurait signifié la fin des clans sous sa responsabilité, et à cette époque, ces barbares-là avaient encore ancré en eux le pragmatisme de leurs ancêtres montagnards.
À la fin de l’hiver, alors que la saison des pillages allait reprendre, le roi profita d’une dernière visite et d’une camaraderie bien établie pour proposer une alliance entre leurs peuples, la première de la péninsule. Pour symboliser cette union, un mariage fut arrangé par les deux pères, entre la fille aînée du chef montagnard et l’héritier du roi pêcheur. Sur le papier, ce mariage avait tout pour tourner au carnage. La fille était certes belle, mais elle dépassait de deux têtes son futur époux, qui, en raison de son héritage nain, n’était pas bien grand. En plus de leurs différences physiques, ils avaient des mœurs et des coutumes totalement différentes. Le jeune homme était plutôt introverti et, bien que bon bretteur, il préférait les études aux terrains d’entraînement. Il était cultivé et possédait une sagesse rare à son âge. La jeune femme, quant à elle, était une guerrière aguerrie, impatiente et instinctive. Bien qu’elle ne fût pas dépourvue d’intelligence, elle n’avait pas reçu d’éducation, ce qui la rendait parfois naïve. Cependant, cette naïveté était vite compensée par son charisme et sa force que la plupart des hommes lui enviaient.
Le chef de clan cambre avait dû mettre au pas ceux qui, parmi les siens, étaient réfractaires à ces changements ; cela ne s’était pas fait sans heurts et il passa au fil de sa hache d’anciens frères d’arme qui eurent l’outrecuidance de le défier. Le roi rionne, à une échelle plus modeste, dut apaiser le mécontentement de ses vassaux qui n’étaient pas enthousiastes à l’idée d’accueillir leurs plus grands ennemis dans leur belle cité. Malgré la grogne et les oppositions, le mariage eut lieu, et les deux époux finirent par s’apprécier, faute de s’aimer. À la suite de cet événement, le roi demanda au père de la mariée de former une armée, l’adoubant et lui donnant le titre de seigneur des Marches. La cité poursuivit son expansion et en l’honneur de cette alliance entre Cambre et Rionne, elle fut rebaptisée “Cambrionne”.
C’est une période marquée par de nombreuses histoires glorifiant le roi et son général. Pendant des siècles, la ville continua de s’étendre et de dominer ses voisins, grâce à ses ports de marchandises, ses comptoirs commerciaux et ses mines d’étain, d’or et d’argent… Elle racheta les droits d’exploitation de la plupart des mines détenues par les Nains. Puis, les guerres et les mariages contribuèrent, avec le temps, à faire de ce royaume le plus grand de la péninsule, s’étendant de la côte à l’est jusqu’aux Mines de Se-Haal à l’ouest.
Environ deux siècles avant la guerre des Goules, à l’apogée de sa puissance, les tensions au sein des plus hautes autorités du royaume commencèrent à freiner l’incroyable expansion de Cambrionne. Les disputes entre membres de la famille royale rythmaient la vie du pays. Ajoutées à cela, les luttes intestines entre plusieurs factions naines qui se livraient à de véritables guerres d’influence dans le but d’asseoir leur domination financière sur la région. Tout cela entraîna un déclin progressif du royaume.
Cinq ans avant le début de la guerre des Goules, le déclin du royaume prit une tournure dramatique lorsque le roi Eloy de Cambrionne, criblé de dettes envers la Banque de Pierre, décida de ne pas honorer ses engagements financiers, déclenchant ainsi un conflit ouvert avec cette impitoyable institution bancaire.
Le Nain Ordo du Talion, un poilu recherché par ses pairs et ancien membre de la loge noire (voir Nains Tomes 2 et 7), fut missionné pour défendre les intérêts d’une certaine Derdhr. Cambrionne devint alors le théâtre d’une guerre secrète entre la jeune veuve, Derdhr du Talion qui, suite au décès de son riche époux, s’était acheté un des sept sièges de dirigeants de la Banque de Pierre, et son rival au sein de l’institution, qui n’était autre que le père d’Ordo, un certain Urus de la maison d’Ettorn. Un viandar à sang-froid, incapable de remords ou de sentiments, qui dominait le conseil des sept de la Banque de Pierre.
Ordo sauva le roi Eloy de Cambrionne d’une tentative d’assassinat organisée par les partisans d’Urus qui soutenaient les prétentions au trône d’Abert, le frère du roi. En tant qu’assassin et émissaire secret de Derdhr du Talion, Ordo proposa au roi Eloy de le soutenir dans sa lutte contre son frère en annulant l’intégralité de sa dette et en lui fournissant les fonds nécessaires pour payer ses soldats. En échange, il lui demanda qu’il cède à la Banque de Pierre toutes les richesses présentes et futures de ses sous-sols, ainsi que le droit de commercer dans ses ports sans aucune taxe. En plus de l’accord financier, il demanda aussi une concession séculaire de trois zones franches portuaires. Il souhaitait aussi que l’assemblée des nobles participant aux pourparlers commerciaux fût institutionnalisée en une assemblée parlementaire avec le pouvoir de proposer et d’adopter des lois. Cependant, tant que Eloy ou l’un de ses descendants resterait en mesure de régner, il conserverait un droit de veto sur ces propositions. Face à sa dette abyssale et à un frère dirigeant la révolte populaire et ayant levé une puissante armée, sur le point de remporter la victoire, le roi Eloy n’eut pas vraiment d’autre choix que d’accepter à contrecœur l’offre de l’émissaire de Derdhr.
Après cela, il remportera une bataille décisive à Karst, et grâce à une ruse d’Ordo, reprendra l’avantage sur son frère Abert, qu’il finira par tuer de ses propres mains. Par la suite, une flèche habilement tirée par l’ancien membre de la loge noire au niveau de la septième vertèbre cervicale transformera le roi Eloy en légume, juste assez vivant pour que Derdhr, via son émissaire, mène ses plans à terme et établisse son autorité sur la jeune assemblée régnant sur Cambrionne.
Pourtant, cette nouvelle gouvernance de la Cité-État ne dure qu’une poignée d’années avant d’être balayée par la guerre des Goules. Le parlement corrompu de Cambrionne se révèle incapable de faire face à l’ampleur du conflit. Dans les heures les plus sombres de l’histoire de la Cité-État, un bâtard du roi Eloy de Cambrionne, soutenu par de braves compagnons d’armes, prend la tête de la lutte et sauve la Cité-État des Goules. Enfin, c’est ce que les ménestrels racontent, mais la réalité est bien moins séduisante. Le bâtard en question, un couard notoire, porcher de profession, au culot incommensurable, sort de son trou à la fin de la guerre et revendique l’ancienne couronne de Cambrionne. Avec une grande dose d’affabulation frôlant le pur génie et un aplomb digne des plus grands empereurs, il affirme qu’il est le sauveur de la cité, qu’il a organisé la résistance et s’invente des faits d’armes aussi héroïques que mensongers, sachant que la plupart de ceux qui auraient pu remettre en question ses affirmations ont disparu. Il faut dire que le bâtard de l’ancien roi Eloy possède une riche porcherie, qu’il n’a cessé d’approvisionner avec des cadavres des macchabées pendant la guerre, lorsque la nourriture devenait trop rare pour ses porcs, puis avec les dépouilles de ses contradicteurs quand ces derniers sont devenus un peu trop insistants.
Après la fin du conflit, adieu au parlement corrompu et bonjour au pouvoir absolu ! Il se fait couronner roi de Cambrionne et prend les rênes de la Cité-État, galvanisé par un peuple qui a connu le pire et place en lui de grandes espérances. On peut lui accorder qu’il n’est pas un mauvais gestionnaire : il profite du chaos engendré par la Nécromancienne Lah’saa pour essayer de se défaire des entraves financières de la Banque de Pierre. Il engage de grands chantiers, en partie financés par des fonds humains et par l’exploitation des mines qu’il reprend à son compte. Avec les années, il impose sa marque sur le royaume ; ses humeurs, ses excès et son franc-parler laissent un goût amer aux gens qu’il côtoie. L’ivresse d’un peuple, gonflé d’espoir, fait place à une gueule de bois générale, assaisonnée d’une bonne dose de désillusion.
À force qu’il surexploite ses ouailles, avec ses idées pharaoniques, les révoltes éclosent comme un parterre de tulipes au printemps. Il les réprime avec violence et fait des exemples pour calmer les ardeurs des plus virulents. Mais il comprend que sur le long terme ce ne sera pas suffisant : il faut un exutoire à la colère du peuple. Et il fait ce pourquoi il est le plus doué, c’est-à-dire cracher des boniments comme une vile rombière prise la main dans le sac avec son amant. Avec aplomb, le bougre commence sa propagande à l’encontre de ses nouvelles cibles et parvient à faire gober aux petites gens que la cause de tous leurs maux ne vient pas de lui, mais de ces usuriers nains, ces racle-deniers dont la cupidité n’a d’égale que l’arrogance de leurs compères elfiques, des fins de races, dont les pires sont les Orcs et les Gobelins, des bêtes nuisibles et dangereuses juste bonnes à manger du foin, qu’il faut éradiquer de la surface d’Aquilon…
Il réinstaure une ancienne tradition de la péninsule : celle de réduire les semi-Elfes en esclavage pour exploiter les mines les plus difficiles. Avec une petite différence, c’est qu’il l’applique à toutes les anciennes races, mais plus particulièrement aux culs-verts. Il a d’ailleurs étendu l’exploitation minière de Se-Haal à un rang jamais atteint jusqu’alors. Il crée un immense camp aux embruns de mort, alimenté quotidiennement en esclaves orcs et gobelins qui y trouvent une fin aussi terrible qu’abrutissante. Sa dernière folie en date est la construction d’un somptueux palais à Se-Haal pour surveiller sa plus grande source de richesse et, sans nul doute, pour le plaisir d’assister quotidiennement à la déchéance des races anciennes qu’il a asservies et qu’il surnomme “viande morte”.
Même s’il ne fait pas partie des cinq rois et reines de départ qui ont orchestré dans l’ombre les guerres d’Arran, il n’en est pas moins l’un de leurs plus fervents soutiens. On évoque souvent comment Silurce le Gros, roi du Léhon, a intrigué pour que Camilla devienne la nouvelle reine élue des Cités-États de Tarascon, mais on ignore trop le rôle déterminant du roi de Cambrionne qui a joué de toute son influence pour la faire élire. Il est son partisan le plus zélé et un prétendant de poids au sens propre comme au figuré. Pour s’attirer les bonnes grâces de la dame, il est prêt à tout.
Le destin d’Eloy II, maître de Cambrionne et grand exterminateur des anciennes races, comme il se nomme, va se jouer lors des guerres d’Arran (voir Orcs & Gobelins Tome 22), mais une chose est sûre : quel que soit l’homme qui la dirigera, la Cité-État de Cambrionne n’a pas fini de marquer l’histoire du continent.