Ce gigantesque pays, situé au nord-est de l’Ourann, est la patrie des géants cornus que l’on nomme plus communément ogres. Le nord de l’Ogrie est un vaste entrelac de chaînes montagneuses, un labyrinthe naturel et mortel qui débouche parfois sur des canyons ou de grandes vallées. Les hivers ne sont guère cléments et les étés peuvent parfois être ardents. Le sud de l’Ogrie contraste avec le nord, c’est un territoire fertile, très peu vallonné, essentiellement composé de forêts sauvages et de grandes prairies aux herbes hautes, sauf à l’est, à la frontière avec Rocs Exsangues, où l’on rencontre à nouveau de hautes chaînes de montagnes.
On sait peu de choses sur ce pays et ça fait bien longtemps que les anciennes races tentent tant bien que mal d’y parquer les ogres. Aucune armée des terres d’Arran n’est assez puissante pour pacifier la région de manière durable. On pense qu’il existe des dizaines de milliers de clans ogres qui règnent en maîtres sur ces contrées.
Pour comprendre le rôle et l’importance de cet édifice, il est bon de se replonger un peu dans les méandres de l’histoire. Car, il y a bien longtemps, un conflit aux répercussions cataclysmiques embrasa le monde et marqua la fin de ce que les historiens nomment l’âge des légendes. Les combats furent si violents qu’ils déchirèrent la trame même d’Aquilon… L’abus de la magie jusqu’à son extrême limite faillit bien tout annihiler. Certains pensent que c’est à cette époque que le monde se fractura en deux et que, depuis, une immense faille balafre la surface d’Aquilon. Mais les récits sur son origine se perdent dans la nuit des temps. Est-ce un dieu qui aurait naguère séparé les terres d’Arran des terres d’Ogon ? Ou bien est-elle le résultat d’un affrontement dévastateur, provoqué par les plus puissants mages de l’époque ?
Depuis, aucun navire ne peut s’approcher de cette plaie béante sans être précipité dans les abîmes. Nulle créature volante ne peut la traverser sans être victime d’un affreux maléfice de putréfaction. Quant à la magie, elle ne peut être d’aucun secours car elle agit différemment d’une terre à l’autre. Ce qui fonctionne à Arran ne fonctionne pas à Ogon et vice versa !
L’unique point de passage connu est un mince bras de terre, situé à l’est de l’Ogrie et à l’ouest du Tangana, marquant la seule frontière entre les terres d’Arran et les terres d’Ogon. Ce lieu est barré dans toute sa largeur par une immense fortification que l’on nomme « Mur d’Ar’theker », une structure qui fait plus de 250 km de long et se jette dans l’océan à chacune de ses extrémités. Quant à son tracé, il est en tout point fidèle à la mentalité naine : « En ligne droite, comme toujours ! », quitte à raser des montagnes ou empierrer des lacs et marais… Sa hauteur est vertigineuse et quel que soit celui ou celle qui le contemple pour la première fois, l’effet est toujours le même : « On est écrasé par tant de grandeur ! »
Magnifiquement ouvragé, le mur est sculpté sur toute sa surface, formant un entrelacs de symboles géants et récurrents qui lui donnent un air mystique. Outre l’aspect esthétique, ces gravures dissimulent tout un réseau de runes qui apporte à la fois solidité et protection à l’édifice. Les Nains de l’Ordre du Temple, qui assurent l’entretien et la restauration du lieu pour le compte de leurs frères du Talion, les étudient depuis des siècles. Selon ces derniers, camouflées au cœur même des fondations, il existerait des runes ayant pour propriété d’annihiler certains effets provoqués par la faille qui divise le monde d’Aquilon. Reste que génération après génération, ils ont toujours fait chou blanc et si la Banque de Pierre ne le leur avait pas interdit, ça fait bien longtemps que les experts bâtisseurs du Temple auraient démonté le mur pierre par pierre pour vérifier leur théorie.
Pour traverser l’édifice, on passe par d’immenses ouvertures dont on distingue à peine la hauteur, flanquées de chaque côté par deux monumentales statues de guerriers. Les épaisses portes s’ouvrent à la manière d’une herse qui se termine par des pointes acérées. Elles sont tout aussi ouvragées que le reste de l’édifice et sont actionnées par un ingénieux mécanisme. Lorsqu’elles sont relevées, on peut apercevoir les longs couloirs qui traversent le mur, ainsi que les statues géantes des fiers soldats armés posées sur des socles de pierre, qui bornent le passage. Les bras croisés sur le torse, le visage droit et le regard sévère, ils toisent d’un œil inquisiteur chaque étranger, sans faire de distinction.
Certains Orcs se font d’ailleurs la réflexion que si ces orgueilleux courts-sur-pattes construisent des choses aussi titanesques, c’est certainement pour compenser leur petite taille. Ils appellent ça le syndrome du nabot. Ce à quoi les Nains répondent : « Le jour où les culs-verts arriveront à bâtir autre chose que des gourbis aux murs de bouse et aux toits moins étanches qu’une passoire, ils pourront peut-être la ramener. En attendant, qu’ils ferment leur gueuloir s’ils ne veulent pas voir leurs faces de pissenlits assaisonnées façon mesclun ! »
Quoi qu’en disent les mauvaises langues, ce vestige des temps passés est aussi immense et imposant que le prétendent les rumeurs. Il est le fruit du génie des bâtisseurs nains d’autrefois et reste farouchement gardé par les fils d’Yjdad depuis sa création. C’est un héritage dont les poilus de l’Ordre du Talion sont les gardiens. Depuis des lustres, cet ordre exploite la manne financière que lui rapportent les droits de passage d’une terre à l’autre. Les prix exigés par les douaniers nains fluctuent fréquemment et sont souvent prohibitifs, surtout qu’il faut s’acquitter du paiement à l’aller comme au retour. Actuellement, pour traverser le mur, c’est 23 écus si c’est pour commercer, mais seulement 17 écus s’il s’agit d’une simple visite. Et c’est 24 écus si on est accompagné d’un Orc, car apparemment, pour les culs-verts, c’est toujours plus cher !
Si les peuples des terres d’Ogon ne traversent pas le mur d’Ar’theker, eu égard à leurs croyances respectant la décision du dieu qui naguère aurait séparé le monde, ceux des terres d’Arran ne s’encombrent pas des mêmes scrupules. Outre les cartographes et autres explorateurs, nombreux sont les artisans, marchands et prospecteurs d’Arran à effectuer la traversée pour collecter des denrées exotiques, des objets typiques, des épices rares ou toutes autres choses qu’ils pourront revendre à prix d’or. Un peu moins nombreux sont ceux qui en reviennent, car les terres d’Ogon sont des contrées aussi séduisantes que dangereuses. Il faut aussi noter que du côté des terres d’Arran, se rendre jusqu’au mur d’Ar’theker est loin d’être une sinécure. Car même si des troupes de cognards du Bouclier et des gardes du Talion assurent une certaine sécurité aux abords du mur, on reste en Ogrie, le pays des géants gris et cornus, et on n’est jamais à l’abri de se prendre toute une horde d’Ogres sur le râble.
(Découvrez ce lieu dans Elfes, tome 29)